Note du Conseil scientifique de l’éducation nationale

Rédigée par Caroline Huron et Franck Ramus avec Stanislas Dehaene, Liliane Sprenger-Charolles, et Johannes Ziegler, membres du CSEN et Richard Delorme, Hervé Glasel, et Michèle Mazeau, membres du Groupe de travail

« Situations de handicap et inclusion » du CSEN

Résumé

La présente note vise à alerter sur l’absence de consensus scientifique et l’insuffisance de la recherche à l’appui des lampes et lunettes actuellement proposées sur le marché en remédiation de la dyslexie.

Contexte

En octobre 2017, deux physiciens (Albert Le Floch et Guy Ropars) ont publié un article dans la revue scientifique Proceedings of The Royal Society B,’ dans lequel ils ont comparé la distribution de récepteurs dans la fovéa rétinienne (tâches centroïdes de Maxwell) chez des étudiants considérés comme dyslexiques et des étudiants sans difficulté de lecture. Ils rapportent des differences de répartition des récepteurs entre les deux groupes, la répartition étant symétrique chez les étudiants dits dyslexiques alors qu’elle est asymétrique dans l’autre groupe. A partir de ces résultats, les auteurs affirment avoir identifié une cause visuelle à la dyslexie. De plus, une lampe stroboscopique à LED pourrait améliorer la lecture chez les étudiants dyslexiques. Ces travaux ont été très relayés dans les médias grand public. Ils ont conduit à la commercialisation d’une lampe et de lunettes vendues 549 € et 399 €, respectivement.

Au niveau scientifique, que peut-on dire actuellement de la dyslexie, de ses causes et des remédiations possibles ?

Le consensus scientifique actuel est que, dans la majorité des cas, la dyslexie est liée à un déficit phonologique.2-4 La cause de la dyslexie est alors liée à un trouble de traitement du langage plutôt qu’à un trouble visuel.

Dans un moindre nombre de cas, la dyslexie pourrait être liée à un déficit du traitement visuel ou attentionnel dans le cerveau.5-9 Les hypothèses de ce type sont à l’étude depuis plusieurs décennies.

Aucune ne fait pour l’instant l’objet d’un consensus scientifique. Lesquelles de ces hypothèses visuelles sont correctes ? Quelle fraction des cas de dyslexie chacune explique-t-elle ? Comment les identifier ?

Ces questions restent ouvertes.

L’étude de Le Floch et Ropars met en avant une hypothèse supplémentaire, ophtalmologique, dans cette catégorie. Actuellement, cette hypothèse ne peut pas être considérée comme validée d’un point de vue scientifique et elle a fait l’objet de nombreuses critiques (voir par exemple les références 10 à12). De nouvelles études sont donc indispensables pour déterminer si cette hypothèse est une cause possible de certains cas de dyslexie. Si cette hypothèse était corroborée, alors il conviendrait de préciser pour quelle fraction des personnes dyslexiques elle est valable, et comment les diagnostiquer.

Concernant les lampes et les lunettes inspirées par cette hypothèse, elles n’ont pas fait l’objet d’études rigoureuses établissant leur efficacité. A notre connaissance, seuls de très rares cas isolés de facilitation de la lecture par un éclairage stroboscopique ont été décrits dans la littérature scientifique. 6,13 Si des études ultérieures mettaient en évidence une efficacité pour certains enfants présentant un trouble rétinien, alors ces dispositifs devraient être proposés uniquement à ces enfants et non pas à tous les enfants dyslexiques. Ce qui implique que leur usage devrait être subordonné à un diagnostic précis du trouble.

Pour toutes ces raisons, à ce stade, le Conseil scientifique de l’éducation nationale estime qu’il n’y a pas lieu de diffuser ces dispositifs au sein de l’éducation nationale. Il rappelle qu’actuellement, seule la prise en charge en orthophonie est recommandée par la haute autorité de la sante pour les enfants dyslexiques.

Néanmoins, les recherches sur les déficits visuels ou neuro-visuels potentiels dans certains cas de dyslexie, et sur l’efficacité des méthodes pour les traiter, restent légitimes et souhaitables. Elles doivent s’effectuer dans le cadre de protocoles scientifiques rigoureux, en accord avec les recommandations du récent rapport du CSEN sur la recherche translationnelle à l’éducation nationale. 14

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